lunedì 16 febbraio 2009

Paris


J’arrive à Paris le matin. Le quai de la gare est une préfiguration de ce qui m’attend. Un échantillonnage d’êtres humains aux yeux poisseux pour la nuit passée dans le train mais éclairés par l’émotion de l’arrivée. Les trains pour Paris accouchent d’une humanité pacifique et étonnée. Ceux qui viennent de loin devraient toujours activer leurs sens petit à petit, pour ne pas laisser la ville prendre le dessus. J’ai élaboré un rite pour l’affronter sans me faire ingurgiter. Avant d’appeler quelqu’un qui peut m’héberger pour une nuit ou deux, je regarde les yeux des autres voyageurs, et je cherche d’y voir la couleur du ciel de Paris. Si mon bagage n’est pas trop lourd et la lumière est propice, je quitte à pieds la gare de Lyon en me dirigeant vers Place d’Aligre, à deux pas de la gare. Avec un peu de chance, c’est le jour du marché. J’aime regarder Paris depuis ici. Les couleurs de la brocante made in Taiwan, les têtes des vendeurs ensommeillés, la lumière qui se transforme en poussière me surprennent à chaque fois. Et à chaque fois j’observe, jusqu’à percevoir quelque chose de Paris qui m’avait échappé jusqu’à ce moment.

Je me concentre sur le toucher et je touche tous les objets exposés sur les stands ou par terre, déchaînant ainsi la fureur des marchands. Je lis le braille de ce lieu : je sens la trame des tissus qu’on ne fabrique plus, je laisse glisser mes doigts sur les bibelots en verre soufflé, j’effleure la quincaillerie comme s’il s’agissait d’un précieux trésor. Je suis dans mes doigts, et grâce au sens du toucher je perçois la patine qui recouvre cette brocante à bas prix. Je choisis un objet. Un presse-papiers en bois chaud et lisse. Pendant que je le garde entre mes mains, sans me faire remarquer, je l’approche de mon nez. Je sens l’histoire du bois à travers son odeur. Puis, j’effeuille les livres anciens et j’en aspire la poussière. L’odorat me permet de m’apercevoir pour la première fois de l’agressivité de la ville : Paris sent fort, avec ses bacs à ordures mal fermés, et les excréments de chien qui étoilent les trottoirs. À ce point, mes oreilles se laissent envahir spontanément par le son du français. Je commence à tirer sur les prix et à écouter les voix. Je parle à un marchand de ce presse-papiers en ébène que je sais trop cher, histoire d’entendre la langue française qui envahit ma bouche et modifie l’expression de mon visage. Avant de repartir je mange quelque chose pour compléter mon éveil sensoriel. Je m’arrête dans une boulangerie ou au supermarché qui a longtemps hanté la place avec une énorme silhouette de Zidane qui disait: J'aime bien vous faire gagner. C’est seulement après cette initiation complexe que je suis prête pour la ville.

Quand mon rite propitiatoire est efficace, il me permet d’entrer dans un monde candi. Les personnes qui explorent, parcourent et vivent Paris peuvent être très différentes. L’impossibilité de cataloguer leur besoins a simplifié le langage que la ville utilise pour communiquer avec eux, mais en a conservé la magie. En fait il ne suffit pas que le mode d’emploi de Paris soit clair et lisible. Pour rencontrer les goûts de chaque passant, il doit être aussi captivant. Ces nécessités pratiques et communicatives ont favori l’énorme diffusion de gadgets métropolitains. Les cartes bariolées et translucides qui portent les messages entre Paris et ses invités sont un manière pour la ville de s’imposer en séduisant. Le charme pop de la carte orange transforme l’abonnement aux transports parisiens en objet d’attentions fétichistes. Une fois rentrés à la maison on la conserve, les adolescents la collent dans leur journal, les superstitieux la relèguent au fond d’un tiroir pour ne pas jeter leur propre image. La carte orange en effet nous regarde de nos propres yeux plantés au beau milieu d’un petit rectangle aux couleurs voyantes. Elle a un pouvoir symbolique et rituel : elle est toujours valable, elle est individuelle, elle est personnalisée avec les données personnelles et la signature, elle suit le voyageur jusqu’à la mort. Le numéro de la carte nous pénètre et il devient nous. Au début de chaque mois ou de chaque semaine, on achète le coupon des dimensions d’un ticket de métro, mais aux couleurs coordonnées à celles de la carte, et le moyen pour en prendre possession, pour le rendre inaliénable, c’est d’y écrire dessus le numéro de carte orange, en acceptant implicitement d’être identifié comme P 185954 à chaque déplacement. Une fois entrés dans ce système, on peut insérer le coupon dans la poche prévue à ce fin dans la pochette pour carte orange, et jouir de l’ineffable étincellement de l'hologramme imprimé dessus. Beaucoup d’autres objets produits par la ville possèdent un magnétisme comparable à celui de la carte orange. Les cartes téléphoniques, les tickets de métro, les cartes d’accès aux bibliothèques, les cartes de fidélité aux magasins, les hebdomadaires consacrés aux événements urbains nous font sentir les membres d’un club exclusif. Nous sommes heureux de nous livrer à la dimension merveilleuse et irréelle crée par ces objets. Nous nous perdons sans crainte dans le monde des collectionneurs de cartes téléphoniques en nous sentant obscurément sauvés, contrôlés par un grand frère...

Il m’est arrivé souvent d’apercevoir l’essence de cette ville polymorphe à des moments dans lesquels je ne m’attendais rien de particulier. Fauchée comme je suis, j’ai cycliquement l’exigence de manger de la nourriture passablement fraîche, ou du moins non en boite, sans dépenser une fortune. À Paris la combinaison de ces deux caractéristiques est un vrai luxe. En obtenir une seule, par contre, n’est pas difficile. Des brochettes de viande avariée ou brûlée peuvent e trouver à un prix honnête dans les quartiers les plus malfamés, tandis que des frits et des légumes très frais sont servis dans les restaurants à des prix stellaires. Ainsi, quand j’ai une cuisine à ma disposition, je me lance sur les marchés alimentaires. Quand je décidai de me rendre pour la première fois au marché Dejean, quelque chose m’échappa. Je descendis au métro Château-Rouge et m’aperçus que je ne mangerais pas ce jour-là. Les trottoirs étaient couverts de feuilles pourries et de chiffons bariolés. Les dernières camionnettes partaient rapidement en abandonnant les piles de caisses vides à même le sol. Les chiffons qui absorbent l’eau des égouts étaient couverts de trognons et de déchets végétaux. Le marché était terminé. Je venais de passer une heure dans le métro, donc je ne partis pas tout de suite. Je commençai à flâner en m’enivrant de la puanteur marcescente des légumes écrasés par les passants. Mais je n’eus pas le temps de vivre cette déchéance car à la fin de la rue parut un maigrichon avec un jean troué, une veste en cuir, un gros chien sans laisse et un tas de punaises. Il avait l’air sympathique, sans doute parce que ses cheveux à moitié décolorés fuyaient dans tous les sens, à cause d’une vaine tentative d’attacher en dreadlocks sa chevelure très lisse. On se regarda un instant, je croyais qu’il s’agirait d’un de ces passants parisiens dont je me souviendrais sans qu’ils m’adressent la parole. Par contre, au moment où on se croisa il me dit: "Liberté dans la vie." Et avant que je puisse m’étonner: "et dans l'amour...". Puis il prit à me parler, comme s’il m’avait toujours connu : « N’est-ce pas ? La liberté est le plus important ». Et debout au milieu de la rue, avec le chien poisseux qui nous tournait autour, nous commençâmes à parler de liberté, égalité et fraternité. Depuis, quand je pense à Paris, c’est à cette image incongrue que je pense.

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