lunedì 16 febbraio 2009

La Martinique


Débarquée pour la toute première fois à Fort-de-France, Martinique, en 2003, mon unique repère était le campus de l’Université des Antilles-Guyane. Étudiante en doctorat, j’étais partie pour compléter ma formation dans le cadre des échanges. Je n’avais pas pensé que ce voyage aurait une si profonde incidence sur ma vie jusqu’à bouleverser ma perspective critique. Au cours de mon séjour, j’ai rencontré des écrivains, qui m’ont chaleureusement accueilli ; j’ai visité des lieux qui me sont devenus chers. Ces rencontres de hasard, ces nouveaux lieux de mon imaginaire ont constitué un tournant décisif dans la rédaction de ma thèse. Les entretiens que j’ai réalisés, pour la plupart à la Martinique, ont mené à la publication d’un recueil aux éditions Mémoire d’Encrier (Montréal).


Comme tout le monde le sait, la Martinique est un département français, ce qui a certainement facilité ma vie quotidienne, car j’ai dû faire face à un apparat bureaucratique assez léger pour m’installer. Cela n’a rien changé au fait que j’avais très peu d’instruments pour comprendre ce qui se passait autour de moi. Si j’allais faire mes courses, par exemple, et que je prenais dans ma main une boite de figues séchées pour la mettre dans le chariot, je voyais bien que c’étaient des bananes. Or, cela peut avoir l’air drôle ou banal, mais l’accumulation d’expériences quotidiennes de ce genre contribuait à me donner le sentiment constant d’un décalage. Heureusement, j’ai connu des personnes formidables, ce qui m’a aidé à accepter ce que je ne comprenais pas. Une semaine après mon arrivée, ils m’ont emmenée aux Chanté nwel. Ce n’étaient pas les célébrations folkloriques pour touristes. On chantait tous ensemble en boîte, avant les danses. On aurait dit la réunion d’une énorme famille ; et moi, qui faisais déjà un crise de manque de tortellini, je me suis goinfrée de pâtés salés qui étaient quand même à la hauteur de la situation.


Je ne peux pas dire que les personnes que j’ai rencontrées m’ont poussé à aimer la Martinique, car je l’aimais déjà. Seulement, ce que j’aimais, c’était un pays en papier. Le fait de m’y retrouver en chair et en os après avoir lu autant de romans, m’a donné une espèce de nostalgie, et m’a rapproché des personnages romanesques dont l’imaginaire appartient parfois à un lieu qui ne leur est pas familier. Mes amis martiniquais m’ont ramenée les pieds sur terre, et ils m’ont montré que nous n’étions pas si éloignés que ça. Grâce à eux, j’ai acquis un peu de confiance, et le malaise d’être visiblement étrangère et différente des autres s’est peu à peu estompé. Du coup, j’ai compris que, même si je ne connaissais pas les codes de comportement du pays, il était possible de communiquer, avec un peu de bonne volonté. En fait, tout ce qui est poli en Martinique ne l’est pas en Italie, et vice-versa. Parfois je suis donc passée pour une vraie mal élevée sans même m’en apercevoir, ou encore j’ai pris pour un geste rude envers moi ce qui n’était que normal. Ces problèmes ont été surmontés avec un peu de patience, de respect et de sympathie, de part et d’autre, mais surtout avec une bonne dose de sens de l’humour.


Ceci dit, je ne crois pas avoir quoi que ce soit à révéler sur la Martinique. En dehors de mes études, j’ai vécu ce pays avec mes sens, ce qui m’a paru la manière la plus efficace de contourner mes propres idées reçues. J’ai entendu le créole des passants, j’ai mangé et cuisiné (!) des plats inconnus jusqu’alors, j’ai serré la main d’écrivains que j’admirais et j’ai essayé de sentir des fleurs qui ne parfument pas. Plus que tout, j’ai vu. Certains me disent que j’ai des gros yeux. Je pense que c’est en Martinique qu’ils se sont agrandis. J’ai regardé les gens, les bus, les taxicos, les voitures, les maisons, les plantes, les animaux, même l’air. Il faut dire que le logement chez le particulier m’a sans doute offert l’occasion de bien observer les détails qui échappent généralement aux visiteurs pressés.


Le fait de voir toutes ces choses que j’avais tant lues a été fondamental. Les descriptions ont beau être précises et les romans évocateurs, mais les odeurs, les bruits, les lumières et les sensations d’un environnement inconnu ne peuvent se percevoir qu’en s’y rendant. Par exemple, les narrations et les théories inspirées de la métaphore de la mangrove ont acquis une résonance bien plus significative pour moi après que j’en ai vu une. La seule concession que j’ai faite au tourisme de masse a été l’excursion sur la Montagne Pelée. Il aurait été trop risqué d’affronter le sentier toute seule, d’autant plus que j’avais un pied cassé! Le guide était une dame alsacienne, comme Schœlcher, qui m’a permis de gambader sur le volcan avec un groupe de braves.


N’ayant pas de voiture, j’ai pu me soustraire aux étapes obligées pour les touristes, mais pas au zouk collé-serré ; et j’admets qu’après la première fois j’ai bien voulu réitérer. J’ai même dansé le zouk sur un bateau, qui filait dans la nuit parmi des poissons volants... Contrairement à ce que je m’attendais, le carnaval m’a paru une expression d’enthousiasme populaire. Le mercredi des cendres en Martinique, c’est le dernier jour de carnaval, et il faut s’habiller de noir et de blanc, en signe de deuil pour Vaval. Je me suis perdue parmi tous ces sons et toutes ces couleurs, et j’ai rêvé de rester pour toujours dans cette Martinique d’un jour, frénétique et bizarre. Et puis, tout compte fait, je suis partie.

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